And I'm holding on for dear life, won't look down won't open my eyes keep my glass full until morning light, 'cause I'm just holding on for tonight help me, I'm holding on for dear life, won't look down won't open my eyes [Sia] ♪♫ - Samuel & Mila

Nothing to hide

Je sers les poings et focalise mon attention sur le paysage au loin. Je m'efforce de ne pas regarder la route. Ni les voitures. Ni Aaron. Je veux juste que ce trajet s'achève au plus vite. Même si la destination c'est l’hôpital et que c'est loin d'être un plaisir de m'y rendre. Même si une fois arrivée je vais voir dans les yeux de mon mari une forme de soulagement car l'horrible trajet que nous sommes obligés de faire ensemble, dans la même voiture une fois par semaine est enfin achevé. Même si dans les couloirs je risque de croiser des infirmières qui me dénigrent car elles sont au courant de certaines choses. Même si je risque d'avoir une mauvaise nouvelle de mon médecin. Je préfère tout cela à ce voyage en voiture. Parce que remonter dans un véhicule me terrorise et que je vois l'accident se rejouer inévitablement devant mes yeux. Aaron se gare et vient m'ouvrir la portière. Sans un mot il me transporte du siège passager à mon fauteuil roulant et me pousse jusqu'au hall du bâtiment. Là il pose un rapide baiser sur ma joue et disparaît. Je soupire, ferme les yeux, respire et rejoins l’ascenseur. Je ne m'offense plus du comportement de mon mari, je ne cherche plus à le comprendre non plus. Un jour il me sourit et semble être prêt à me pardonner et le lendemain il se renfrogne dans une cruauté sans nom et me refuse la moindre parole. Mais ce n'est pas comme si j'avais le droit de me plaindre alors je laisse aller tout en nourrissant l'espoir qu'un jour il me proposera une conversation sérieuse histoire que l'on mette au clair ce qui se joue entre nous. Je ne me sens pas la force d'aborder moi même ce sujet même s'il est plus que temps que nous en parlions...L’ascenseur est bondé. Une grand-mère demande à sa petite fille de sortir pour me laisser la place assurant qu'elles ferraient le prochain voyage. Je fulmine et leur bloque le passage jusqu'à ce que la porte se referme me laissant en dehors de la cabine tandis qu'elles y sont restées. La vieille femme semblait outrée. C'est donc si dur de comprendre que je ne veux pas être traitée différemment ? Aurait-elle abandonné sa place à quelqu'un de valide ? Non alors qu'elle ne me la cède pas non plus ! Malheureusement elle n'est pas la première à ne pas concevoir que je ne veuille pas être privilégiée, à vrai dire mis à part Danny personne ne semble l'admettre.

Cinq minutes plus tard l'ascenseur vide redescend et j'y pénètre en même temps qu'une infirmière. Je ne la connais pas et cela me soulage. En effet, allez savoir comment, elles sont une demi-douzaine à avoir appris que l'homme avec qui j'avais eu un accident de voiture était mon amant...Mon meilleur ami serait plus correct mais puisque ce n'est pas suffisamment croustillant comme anecdote, elles préfèrent m'inventer une aventure avec Matthew. Je suis donc devenue la femme en fauteuil roulant qui a le plus mérité son handicap de tout l'univers . Et mon pauvre époux qui se voit obligé de s'occuper de moi parce qu'il a pitié mais qui pourrait trouver tellement mieux que moi. D'ailleurs s'il est intéressé par les infirmières elles seraient toutes prêtes à l'aider à m'oublier ! Bref, j'ai horreur de venir ici. Surtout que mes séances de rééducations me paraissent bien inutiles. J'en sors toujours plus dépitée que je n'y suis entrée. Il faut dire que je ne crois pas remarcher un jour...Pas que je sois du genre pessimiste dans l'âme, s'il me restait un rien de sensations dans les jambes je m'y accrochait mais là, je n'ai vraiment rien. Je pourrais ne plus avoir que des moignons au niveau des cuisses que je ne verrais pas de différences. Mais qu'importe, je m'accroche. Un peu pour Aaron, un peu pour ma passion et un peu pour ma dignité. Je sors de l'ascenseur et me dirige vers la salle d'attente. Je nourris un petit espoir : celui de croiser Samuel. D'un coté s'il n'est pas là c'est qu'il va un peu mieux et qu'il peut diminuer le nombre de contrôles suite à son cancer ce que je lui souhaite mais s'il est là on pourra à nouveau se confier l'un à l'autre et j'admets que cela me fait beaucoup de bien.

Je pénètre dans la pièce et y reconnaît deux habitués ainsi qu'une petite nouvelle. La pauvre. Je soupire et rejoins ma place habituelle non loin de la fenêtre d'où je peux me perdre dans la contemplation des champs au loin. D'ordinaire je m'y revois chevauchant Frodon durant d'interminables ballades. Mais aujourd'hui je ne revois plus que les lèvres de Danny sur les miennes et le mélange de plaisir et de culpabilité qui vont inévitablement avec ce délicieux souvenir.