J’affichais un grand sourire en voyant la devanture de la célèbre chaîne de café. Ce qui était sûr, c’était qu’il n’y avait pas de Starbucks avant que je quitte Fairbanks pour faire un petit tour du continent américain. Ce n’était pas que j’aimais cette chaîne, au contraire même. Après tout, Jason et moi avions tenu un bar new yorkais ensemble pendant des années, et mon café préféré était forcément le sien. Mais en me retrouvant devant la chaîne de café, je sentais un peu moins le mal du pays. Même si je n’aimais pas spécialement leurs cafés, ni leurs gâteaux, au moins, c’était quelque chose qui me rappelait New York, et forcément, cela me remontait un peu le moral. J’aurais pu rester là-bas, et tenir le bar de mon mari décédé. Après tout, j’en avais hérité et il était donc le mien. Mais lorsque j’avais remis les pieds dans l’endroit où il était mort dans mes bras, j’avais su que j’en serais tout bonnement incapable. Et si, à Fairbanks, j’avais perdu mes parents, au moins, la blessure avait guérie, en quelque sorte. Et quitte à être malheureuse, autant l’être dans la ville dont mes parents étaient tombés amoureux, et où ils étaient amoureux de l’autre.

J’avançais au comptoir, avant de passer ma commande dans un petit sourire gêné. Heureusement, je ne connaissais personne ici. Quoique, qu’est-ce que j’en savais ? Quelques années auparavant, je ne me serais jamais vue dans un tel endroit non plus, préférant les endroits plus authentiques. Une fois ma commande payée, je me dirigeais vers la terrasse et m’y installais. Je soupirais doucement, en voyant le ciel gris. Le temps avait beau s’être réchauffé, j’aurais du mal à m’y réhabituer, je le sentais. Nous étions en juin, et je portais une veste d’hiver, c’était dire. Mais bon, je laisserais les choses se passer comme elles se passeraient, et je verrais bien. Au pire, je m’en irais de nouveau. Cela me ferait mal au cœur, surtout que je retapais l’auberge de mes parents en ce moment, pour la remettre aux normes, mais bon, j’avais toujours fui, pratiquement toute ma vie, donc une fois de plus ou une fois de moins. Je portais mon frappuccino en bouche, avant de faire une grimace en sentant le goût du simili café. Je haussais des épaules, avant de sortir une cigarette de mon paquet et de l’allumer. Peut-être qu’il faudrait que j’arrête, un jour. Mais ce ne serait pas pour aujourd’hui. Apercevant une tête blonde, un petit sourire éclaira mon visage alors que je la reconnaissais. « Holly ? C’est toi ? Qu’est-ce que tu as grandi ! » m’exclamais-je dans un sourire. Après le frère Hamilton, voilà que je tombais sur sa sœur dans un hasard similaire.

Même si cette chaîne de café bien connue n’était pas ce que je préférais, assise à cette terrasse j’avais l’impression que le mal du pays s’amoindrissait. J’avais beau ne pas aimer leurs viennoiseries, ni même leur café d’ailleurs, il n’était vraiment pas rare de voir des newyorkais se balader avec un gobelet à l’effigie de la marque dans la rue. Donc forcément, cela ne pouvait que me rappeler la ville où j’avais passé de nombreuses années. Et puis, j’avais eu besoin d’une pause. J’étais en plein dans les travaux de l’auberge et cela demandait énormément de temps et d’efforts. Surtout que ce n’était pas comme si j’avais les moyens de faire appel à un entrepreneur. J’aurais pu vendre le café de Jason, après tout, j’en avais hérité, mais j’avais préféré le laisser à sa sœur, qui travaillait avec nous à l’époque. Le vendre m’aurait brisé le cœur, il avait tellement investi de sa personne dedans, que je ne m’étais pas sentie de l’abandonner à n’importe qui. Donc pour mon auberge, enfin celle de mes parents pour être plus précise, il n’y avait que moi pour faire les travaux nécessaires pour la remise aux normes. Même si je l’avais louée pendant de nombreuses années, les travaux n’avaient pas été faits depuis que mes parents l’avaient racheté, autant dire depuis une éternité. Et cela commençait à être dangereux. Donc une pause m’avait parue bien méritée, et quoi de mieux que dans un endroit qui me rappelait New York ?

Et puis, apparemment, c’était également un bon endroit pour croiser une vieille connaissance. Holly ! J’avais été sa baby sitter pendant plusieurs années, et tomber sur elle, complètement par hasard, me fit doucement sourire. Après tout, j’étais tombée sur son frère à peu près de la même façon. « Alexis ! Ca fait si longtemps ! » me salua la jeune femme enthousiaste. Je fronçais doucement les sourcils, me demandant comment elle savait que je me faisais appeler comme ça à présent. Après tout, j’avais commencé à me présenter sous le nom d’Alexis qu’en quittant Fairbanks. Puis je me rappelais que justement, j’avais croisé son frère et qu’il m’avait peut-être mentionnée. « Tu deviens quoi ? Ça fait longtemps que tu es revenue sur Fairbanks ? » me demanda-t-elle ensuite. « Ça fait tout juste un mois que je suis revenue ! Et sinon … Je reprends l’auberge de mes parents et c’est à peu près tout ce que je fais. » lui répondais-je, restant un peu vague sur mes années newyorkaises. Ce n’était pas que j’étais gênée ou autres, mais j’avais forcément du mal à en parler. « Et toi, qu’est-ce que tu deviens ? » lui demandais-je dans un sourire, réellement intéressée. « Tu as vu mon frère ? Je te rassure, il est toujours égal à lui-même même si je trouve qu'il s'améliore depuis peu. » J’acquiesçais de la tête, assez d’accord avec la jeune femme, même si bien sûr, n’ayant croisé son frère que deux fois depuis mon retour, je ne pouvais pas vraiment me faire une idée de son amélioration. « Oui, je l’ai croisé deux fois au casino. Je ne peux pas vraiment affirmer qu’il se soit amélioré, mais je te fais confiance là-dessus ! »

Alors que depuis que j’étais arrivée en ville, je ne cessais de croiser des personnes que j’avais plus ou moins connues et dont j’avais plus ou moins été proche, je ne pouvais m’empêcher de culpabiliser. Après tout, j’étais partie comme une voleuse, sans ne rien dire à personne. Pas même à mes deux meilleurs amis. Et je n’avais gardé contact avec personne. Si, sur le moment, cela m’avait fait du bien de tirer un trait sur cette vie, maintenant que j’y revenais … ce n’était plus la même chose. La preuve était Holly. Lorsque j’étais partie, elle était encore une enfant. Et maintenant … Et bien, elle était devenue une femme, déjà. Et surtout, je ne connaissais rien de sa vie. Elle me demanda alors si j’avais croisé son frère, me disant que, quand même, même s’il était toujours le même, il s’améliorait. Je ne l’avais croisé que peu de fois, et peu parlé aussi, donc je lui faisais confiance là-dessus, elle était plus à même de le savoir. « Oh tu peux me faire confiance, même si sur certaines choses il a encore des choses à revoir, dans l'ensemble il s'améliore… » me dit-elle, me faisant lâcher un petit sourire. « Ça prend toujours plus de temps aux hommes de grandir de toute façon, c’est bien connu ! » lâchais-je dans un sourire amusé.