Don't cry because it's over, smile because it happened.
✦À la claire fontaine m'en allant promener...| St Petersburg, 2001✦
La première chose que je sentis ce fut sa main sur ma bouche. Je pu retenir de justesse un petit cri de surprise avant que son regard dur, vicieux se mette à me jauger. De haut en bas. De bas en haut. Sur ses lèvres un sourire au coin se dessina et je lâchai son regard, fixant désormais le sol, tentant de retenir mes larmes. De sa main libre, il m'agrippa sauvagement mon bras frêle et me traîna dans les escaliers.
J'aurais voulu crier, j'aurais voulu hurler à en briser le verre de ma prison transparente... Mais je savais que ça ne servirait à rien. Personne ne m'entendrait. Personne. Jamais. Je m'étais résignée...Parce qu'au fond je n'avais pas le choix. Qu'est -ce qu'une fillette de onze ans aurait pu faire contre la force animal de son beau-père? Nous entrions dans la chambre et les yeux pleins de larmes je m’exécutai.
À chaque fois qu'il abusa de moi, il me vola une partie de moi. Il a commencé par me voler mon innocence à l'âge de dix ans. À cause de lui, je n'ai plus jamais pu regarder le monde avec des yeux d'enfants. Tout était sombre, effrayant et hostile. Il a continué en me volant mon enfance. Je n'ai pas de souvenirs réels de jeux d'enfants. Peut-être parce qu'aucun enfant voulait jouer avec Kzeniya-la-pleurnicheuse. Pas d'amis...à cause de lui....Aucune vie sociale...Aucun moyen d'échapper à cet enfer qu'était ma vie. Parce que ce n'était pas assez pour lui, il me déroba mes espoirs. Je n'osais même plus envisager une sortie de secours, j'étais condamnée à être sa chose, ne pouvant et n'osant rien dire à ma mère par peur de lui faire honte.
Mais je crois que le coup de grâce fut le moment où je me rendis compte que j'avais perdu toute empathie. J'étais tombée si profondément dans les abysses que je ne ressentais plus rien pour les autres, ne croyant plus en l'espèce humaine.
Pour ma défense, comment aurais-je pu ressentir de la peine pour quelqu'un lorsque ce que je vivais quotidiennement était incommensurable avec leur petits malheurs. Au contraire...J'enviais le mal qui rongeait ces gens, il était si banal si facilement surmontable.
✦"Svolotch"✦
Jours après jours, mois après mois, années après années... J'avais l'impression d'être spectatrice d'un mauvais film... De voir l'héroïne dépérire peu à peu sans pouvoir rien faire, hormis rester là, à la regarder. J'avais peur de cet homme, peur du lendemain, peur de l'avenir, parce qu'au fond je savais qu'à chaque fois ça serait pire. Il fallait que je fasse quelque chose...Mais quoi ? Jamais je n'aurais oser m'en prendre à lui. Et même si j'avais osé, qu'est-ce que ma mère dirait ? À ces yeux j'étais déjà une moins que rien, une incapable. Mauvaise élève, asociale, dépressive et parfois presque bipolaire, elle n'avait de cesse de me répéter que je n'étais qu'une “svolotch” - une personne méprisable. Bref... Elle me détestait déjà assez sans qu'elle sache ce que mon beau-père me faisait endurer, je ne pouvais rien lui dire...Surtout pas à elle.
Il ne me restait qu'une solution pour sortir de cette spirale infernale : m'en prendre à moi -même.
La première chose que je fis peut paraître anodine et pourtant elle était significative pour moi. Je saccageai ma longue chevelure blonde en donnant au hasard des coups de ciseaux dedans, mettant fin à l'apparence lisse, l'apparence de poupée que je pouvais renvoyer. J'étalai mes cheveux sur le carelage de la salle de bain et je restai quelques minutes, assise en tailleur, parmi mes cheveux...parmi mon anciennne moi. Les ciseaux étaient toujours dans ma main gauche et machinalement, ils se mirent à m'entailler le cou, descendant avec une lenteur hallucinante jusqu'à ma clavicule. Le sang rejoignit rapidement la lame du ciseau, colorant et réchauffant lentement l'ivoire glacial de ma peau.
Le sang me redonnait des couleurs que j'avais perdu depuis longtemps. Alors qu'usuellement je suis blafarde, voila que j'étais pourpre. Pourpre comme une jeune fille en fleur amoureuse et timide. Seulement, le pourpre de la jeune fille représente l'amour...Le mien représente la mort prochaine. Plus mon corps se colorait, plus je m'endormais...somnolant, quittant ce monde. J'étais désormais allongée sur le sol...Parmis le reste de mes cheveux dans une chaude flaque de sang.
Mais bien sûr l'histoire ne se finit pas comme ça. Sinon ça ne serait pas moi qui vous la conterais.Alors que je me voyais déjà dériver éternellement sur le Styx, je me réveillai dans un lit d'hôpital, ma mère à mes côtés, les yeux gonflés par les larmes qu'elle semblait avoir fait couler pour moi. Tiens ! Elle tenait quand même un peu à moi ? Oh je sais...Le cynisme est rarement bienvenu dans ce genre de situations...Mais je n'arrive plus à raisonner autrement tant je la méprise. C'est ma mère et elle n'a jamais su déceler aucun de mes appels au secours. Elle me prenait pour une adolescente dérangée et solitaire, me reprochait sans cesse tant de choses dont je ne suis pas la cause : le départ de mon père, les mauvaises humeurs de mon beau-père.... Quelle sale grosse égoïste !
Après avoir tenté de prendre la seule sortie de secours qui me semblait possible – c'est plus joli de dire ça que de dire : 'après ma tentative de suicide', non ? Les médecins se sont amusés à me faire passer de nombreux tests et m'ont déclaré instable. D'après eux, il y avait de grandes chances que je récidive et donc pour ma sécurité, ils ont décidé de m'interner.
À vrai dire, je ne garde aucun souvenir de ce premier internement. Je sais qu'il a duré quinze jours...Mais j'étais tellement droguée aux médicaments que c'est le trou noir. J'étais un zombie... Le premier mois qui suivi mon retour à la maison, j'étais toujours ce même zombie... Prenant des médicaments trois fois par jour, ne pouvant ni penser, ni raisonner et ayant de grandes difficultés à articuler quelques phrases...Puis après un mois, ma mère a réduis les médicaments et peu à peu je reprenais conscience de ce qui m'entourait. Je ne voulais plus prendre ce poison qu'était mes médicaments et voyant mon refus, ma mère s'est mise à les dissimulés dans la nourriture. Pour la contrer, j'ai arrêté de manger...Enfin...Je mangeais en face d'elle et je me faisais vomir juste après, histoire de m'assurer qu'on ne tentait pas de me droguer.
Ce fut une période très difficile. J'ai perdis plus de quinze kilos... et me sentant extrêmement faible j'avais développé une sorte de paranoïa chronique. Impossible de faire confiance à qui que se soit : tout le monde voulait me droguer pour mieux abuser de moi. Ma mère devait supporter des séries de crises d'hystéries où je cassais des assiettes et l'empêchais de s'approcher de moi...
La fois de trop a été le jour où mon beau-père, rentrant de son voyage d'affaires aux Etat-Unis, m'adressa la parole alors que je lavais la vaisselle : « Kzeniya, tu ne viens pas me dire bonjour !? ». Le son de sa voix me fit entrer dans une panique inimaginable et ingérable. Je m'étais armée d'une fourchette et telle une sauvage je lui sautai dessus hurlant des choses sans sens.
Je n'ai jamais su s'il avait eu vraiment peur...Quoiqu'il en soit, il poussa ma mère à faire une demande d'internement. Et pour la seconde fois j'entrai dans un hôpital psychiatrique, mais cette fois-ci pour une période d'un an.
✦Black Hole 2009-2010✦
J'aimerais tant vous conter cette année mémorable dans cet hôpital psychiatrique. Vous raconter de quelle façon, chaque jour à la même heure nous ingurgitions les mêmes médicaments. La manières dont on était sans cesse épiés. Les drôles de regards que nous lançaient les infirmières, sur-interprétant tous nos faits et gestes. Je ne me suis jamais cru folle...Hormis les deux derniers mois...Et c'est au moment où j'allais lâcher prise, où je m'étais résignée, croyant que plus jamais je ne sortirais de là, que peut-être j'étais bien dérangée comme les autres, qu'ils ont décidé de me rendre ma liberté. Enfin liberté c'est un grand mot...
Quoiqu'il en soit, je ne pense pas qu'il soit nécessaire de s'étaler sur cette période de ma vie. Il faut juste retenir qu'ils ont soigné mon anorexie et que j'ai appris à être celle qu'ils voulaient que je sois. J'ai toujours cette impression que le monde entier m'est hostile...Seulement désormais, je ne le crie plus haut et fort. Je le garde précieusement pour moi attendant le meilleur moment pour « attaquer » avant d'être « attaquée ».
Une semaine après ma sortie de l'hôpital, ma mère décéda d'un bête accident de voiture. Elle est morte sur le coup et je continue à croire qu'elle ne méritait pas ça... Elle aurait dû souffrir plus ! Il aurait fallu qu'elle paie pour le malheur qu'elle m'a fait endurer durant toutes ses années, à cause de cet horrible mari qu'elle s'était choisie. Mais la vie prouva encore une fois qu'elle était injuste...et qu'elle préférait s'acharner sur moi.
Je n'en étais d'ailleurs pas au bout de mes surprises. Alors que j'avais l'impression d'être au bout du tunnel, alors que je croyais avoir touché le fond du gouffre dans lequel j'étais tombée depuis ma plus tendre enfance, la découverte du testament m'acheva une fois pour toute. Elle m'avait déshérité ! Moi, sa seule fille ! D'après elle je n'étais pas digne, trop instable et à moitié folle. La faute à qui ? Je me le demande bien... Oui encore du cynisme désolé...
Elle avait préféré léguer une partie de ses biens à son pervers de mari et une autre à...à ma soeur !? Oui vous avez bien compris, ma soeur ! Alors que pendant 20 ans j'ai cru être fille unique, c'est seulement à la mort de ma mère que j'ai découvert que j'avais une demi-soeur. Elle vivait paisiblement dans une petit bourgade nommée Fairbanks, aux Etats-Unis, pendant que durant toutes ces années, je me faisais violer par le bourreau que notre mère s'était choisie pour compagnon. Autant vous dire que la pilule était difficile à avaler. J'avais l'impression d'être dans un mauvais rêve. Elle ne l'avait jamais élevée, ni connue et sous prétexte que j'étais instable, elle me déshéritait pour donner le peu qu'on avait à une inconnue ! Non...Ça n'allait pas se passer comme ça ! Quelle ingrate ! Même six pieds sous terre elle arrivait à faire de ma vie un enfer.
Il me fallut trois mois pour réunir dans son entièreté la somme d'argent nécessaire pour mon allé simple à Fairbanks. Plus rien ne me retenait à St Petersburg. À vrai dire, rien ne m'a jamais retenu là-bas...Sauf mon bourreau peut-être. Je voulais connaître cette grande soeur cachée, cette fille qui m'a volé la seule chose positif que j'aurais pu récupérer de ma mère. Forcément, je ne vais pas me pointer en lui disant « Salut, je suis ta soeur, rend-moi mon héritage ! ». Non ! J'ai mis une croix sur cet héritage... Ce que je veux c'est juste savoir qui elle est, pourquoi elle n'a pas vécu avec nous en Russie, pourquoi j'ai dû être seule à vivre l'enfer à St Petersburg alors qu'en réalité on aurait pu être deux.
Jalouse ? Je ne suis pas certaine que ça soit de la jalousie...En revanche, je suis certaine que j'éprouve déjà une sorte de haine contre elle. Une haine parce qu'elle à eu une belle vie -certainement- pendant qu'il me volait la mienne. À cause de lui j'ai été privée de tout, à cause de lui, je suis morte de l'intérieur, je ne suis plus qu'un corps animé par un flux de vengeance qui bouillonne patiemment à l'intérieur de moi. Attendant le jour où il pourra sortir pour l'ébouillanter lui, le détruire à jamais. Ce jour n'est pas encore arrivé...Je ne suis pas encore prête à l'affronter. Mais je sais que plus j'attends, plus la vengeance sera délicieuse pour moi. Je n'abandonnerai jamais. Mais pour l'instant je me focalise sur cette soeur qui a eu le culo de vivre pendant que moi je survivais...
t.